TIBET

La route de l'Amitié

Thierry Brunello - Tous droits réservés.
Lac Yamdrok Tso (1987)

C'est ainsi que les autorité chinoises ont appelé l'axe de communication principal du Tibet. Non pas vis-à-vis du peuple tibétain, mais parce qu'elle relie la capitale du Tibet à Kathmandu, capitale de l'ami Népalais.

Un premier tronçon d'une vingtaine de kilomètres est goudronné, mais après le passage du Bramapoutre, elle se résume à une piste défoncée par les assauts de la Mousson.

Je suppose qu'aujourd'hui, en 2020, les choses ont changé.

 

Nous franchissons la Passe de Kamba La, et du haut de ses 5200 mètres s'offre à nous la vision magique du Yamdrok Tso. Il est l'un des plus grands lacs du Tibet, une mer intérieure aux teintes de lapis-lazuli que la Nature elle-même contemple du haut de ses crêtes enneigées.

Les rives du lac sont peuplées de maisons de pécheurs. Leurs murs ocre se détachent des eaux lagunaires qui prennent des teintes métalliques sous le couvert des nuages orageux.

Au village de Nagarzé, une foule d'enfants curieux nous prend d'assaut, s'accrochant à nos vêtements en riant de bon cœur. Avec discrétion, nous sortons de nos poches des photos du dalaï-lama. Un silence ébahi s'en suit. Leurs mains crasseuses les accueillent tels des objets sacrés, avant de les porter à leur front avec une grande solennité. Ils les remettront à leurs parents qui, après les avoir eux-mêmes vénérées, les dissimuleront dans une cache sûre.

Détenir une photo du dalaï-lama est passible d'emprisonnement.

 

Nous devons encore franchir les 5400 mètres de la Passe de Karo La et ses virages emportés par les eaux, puis nous entrerons dans la vallée fertile de Gyantze.

 

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Lac Yamdrok Tso (1987)
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Lac Yamdrok Tso (1987)
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La "route de l'Amitié", axe principal du Tibet, en 1987 - Passe de Karo La (5450m)

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La chute de Gyantze

Avec ses dix mille habitants, Gyantze, 4ème ville du Tibet, a tout d'un gros bourg dominé par un fort aux allures de gardien patient et vigilant. Il surplombe un labyrinthe de ruelles habitées d'ânes et de chiens assoupis. À cette heure chaude de la journée, des femmes longent les murs porteurs d'ombre, arc-boutées sous d'énormes bottes de fourrage. De temps à autre, la chevelure sale et hirsute d'un enfant dépasse du rebord poussiéreux d'un toit-terrasse. L'ocre de la terre fait face au bleu intense de ces ciels que l'on rencontre à 4000 mètres d'altitude.

Par-delà les remparts, dans la vallée irriguée, se blottissent des villages où l'on raconte encore, le soir autour du feu, le récit héroïque des ancêtres, ceux qui combattirent les troupes colonisatrices d'une des plus grandes puissances de l'époque : l'Angleterre. Les Anglais durent faire face à celle qu'ils appelèrent longtemps "la forteresse de l'Asie Centrale". C'était au début du siècle, lorsque les murailles de Gyantze gardaient la route de Lhasa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En cette nuit d'été de 1904, à trois heures du matin, Tsensan, soldat de garnison de Gyantze, prit son quart. Ayant bavardé avec quelques amis autour d'une marmite de tchang, il avait les yeux gonflés par l'alcool et la tête lourde. Il prenait la relève de son grand ami Mila qui n'avait qu'un désir : quitter la fraîcheur des rempart pour retrouver la couche que sa femme avait déjà réchauffée. Au loin, on distinguait le campement anglais, piqueté de feux de camp. Cela faisait trois semaines que l'envahisseur s'était installé, et si la terreur avait envahi la ville au cours des premiers jours, il n'en restait maintenant qu'une grande tension et les habitants avaient retrouvé leur quotidien.

Avant de se séparer, les deux amis se remémorèrent la bataille acharnée qu'ils avaient livrée à Chang Lo, plus au sud. Leurs rires emplirent la nuit environnante en revoyant la panique anglaise provoquée par une canonnade d'autant plus inattendue que les Tibétains n'étaient pas censés posséder d'artillerie.

Une détonation soudaine les arracha à leurs souvenirs. Une boule de feu s'éleva au-dessus des remparts sud. Les Anglais attaquaient. En plein cœur de la nuit.

Tsensan prit instinctivement le cor et répandit l'alerte sur la ville. Les grands cors de prière du monastère lui répondirent puis se mêlèrent au bruit de l'artillerie anglaise.

Les canons ennemis, puissants, martelaient la muraille. Le sol tremblait. En bas, les rues se peuplaient de cris et de torches qui convergeaient vers le lieu de l'attaque. Moines, soldats et habitants ne faisaient plus qu'un, soudés par une volonté farouche de défendre la ville.

Bientôt, une fumée noire s'étendit, et seuls Tsensan et Mila, perchés sur leur promontoire, purent apercevoir les premières lueurs de l'aube. 

Son rôle de sentinelle devenu inutile, Tsensan voulut se jeter dans la bataille, mais Mila l'arrêta :

- Non, lui lança-t-il. Il y a plus important !

Quelques minutes plus tard, les deux amis enfourchaient leurs chevaux et quittaient la ville par la porte nord.

En milieu de journée, les remparts sud furent traversés par les colonnes anglaises et les cinq milles défenseurs tibétains se replièrent dans l'enceinte du fort. Les murs du géant oscillaient sous la semonce. Une brèche s'ouvrit, et tout le monde sut alors qu'avant le coucher du soleil, Gyantze allait tomber.

Tsensan et Mila n'avaient cessé de galoper depuis le matin. Devançant les envahisseurs, ils allaient pouvoir avertir le Dalaï Lama du péril qui menaçait et lui donner ainsi le temps d'organiser la défense de la capitale. Il fallut deux jours d'une chevauchée sans relâche pour que les deux amis arrivent en vue des toits d'or du Potala, demeure sacrée de leur demi-dieu, Thupten Gyatso.

 

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Gyantse, quatrième ville du Tibet - 1987
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