Le berceau du Monde
Extrait du Lion, de Joseph Kessel.
J'étais seul de nouveau.
Mais déjà, en ces quelques instants, l'aube tropicale, qui est d'une brièveté saisissante, avait fait place à l'aurore.
Du sein des ombres, la lumière jaillissait d'un seul coup, parée, armée, glorieuse. Tout brillait, étincelait, scintillait.
Les neiges du Kilimandjaro traversées de teintes vermeilles.
La masse du brouillard que les feux solaires creusaient, défaisaient, aspiraient, dispersaient en voiles, volutes, spirales, fumées, écharpes, paillettes, gouttelettes, innombrables et pareilles à une poudre de diamant.
L'herbe, d'ordinaire sèche, rêche et jaune, mais à cet instant molle et resplendissante de rosée...
Sur les arbres répandus alentour de ma hutte, et dont les sommets portaient des épines vernies à neuf, les oiseaux chantaient et jacassaient les singes.
Et devant la véranda, les brumes, les vapeurs se dissipaient une à une pour libérer, toujours plus ample et mystérieux, un verdoyant espace au fond duquel flottaient de nouvelles nuées qui s'envolaient à leur tour.
Rideau après rideau, la terre ouvrait son théâtre pour les jeux du jour et du monde.
Enfin, au bout de la clairière, où s'accrochait encore un duvet impalpable, l'eau miroita. (...)
Auprès de l'eau étaient les bêtes.