Au cœur des plaines brûlantes du Penjab se trouve Lahore.

Point final de la conquête asiatique d'Alexandre le Grand, détruite par les hordes mongoles de Gengis Khan, les Moghols la rebâtirent pour en faire la capitale de leur empire. Joyau de lumière connue dans tout l'Orient, étape majeure de l'axe impérial kabul-Dehli, elle fut la rivale d'Agra par la finesse de son architecture.

Lahore garde encore en son cœur ce qu'elle a de plus beau : Badshahi, la mosquée des légendes, surmontée de ses trois coupoles de marbre blanc. Comme le Taj Mahal, elle ne cesse de capter les couleurs du ciel. Rose dorée à l'aube, aveuglante en pleine journée, mauve sous l'orage, flamboyante au crépuscule.

Au pied de son portail monumental se presse la vieille ville, elle-même ceinturée par une muraille à douze portes qui la sépare de la mégalopole moderne. Ce petit univers ramassé sur lui-même est le dépositaire des traditions et des modes de vie d'autrefois. Le dédale des ruelles est la scène sur laquelle se joue depuis des siècles la même représentation : les riches sont gras, les maigres souvent pauvres, les artisans fument la hupa et jètent les mêmes roupies aux mêmes mendiants. Ici, nul assaut de l'électricité. À la tombée de la nuit, mille lanternes s'allument, projetant la cité à l'époque d'Haroun Al Rachid. Chaque segment du labyrinthe est occupé par une corporation de marchands ou d'artisans. Ferrailleurs et chaudronniers, potiers et céramistes, ébénistes et cordonniers sont légion. Suivent les barbiers, puis les marchands de tissus, de karakul et de tapis. Les vieux murs décatis sont pris d'assaut par des kilomètres de draperies et de toiles de lin, de coton, d'astrakan et de soie. Sur les marches des négoces on palpe, on soupèse, on marchande. Viennent ensuite les tisserands dissimulés derrière des monceaux de charpoys, ces matelas de chanvre tissés sur des cadres en bois. Les vendeurs d'épices, de yaourts et de douceurs crient pour alpaguer le client. Les boulangers, au fond de leurs échoppes sombres et enfumées, croulent de chaleur devant les fours rougeoyants. Un étal de pastèques a basculé au milieu de la ruelle. Les passants s'agglutinent autour de conteurs itinérants qui pour quelques piécettes offrent récits et légendes. Les ânes surchargés bouchent les carrefours, empêchant l'avancée de charrettes plus larges que les ruelles. Les fouets claquent, les injures pleuvent, et les enfants coursent les poules dans les nuages de poussière. On déambule de chaïkana en chaïkana, ces échopes de thé devant lesquelles trônent d'énormes samovars fumants. Puis se succèdent les écrivains publics, les dentistes, les médecins, les "hommes de loi" qui proposent leurs services à des files de turbans colorés.

Dans cette fourmilière bousculée, tout vibre d'une énergie millénaire. Le chemin des lanternes qui guident nos pas finit par nous perdre irrémédiablement. Il ne reste finalement qu'un moyen de s'échapper : dégotter un tapis volant.