L'Arche Perdue
Aux sources du Nil Bleu se trouve le lac Tana, collé au ciel à 2000 mètres d'altitude.
Au cœur de ce lac se cache un archipel de petites îles que l'on atteint par pirogue en traversant des nuées de grues et de pélicans.
Sur ces îles, dont certaines sont immergées durant la saison des pluies, se trouvent une quarantaine d'églises. Les plus anciennes remontent au 14ème siècle, époque où l’Ethiopie connaissait déjà une grande ferveur religieuse. Un bruit court que l'une d'elles abriterait en son sein l'Arche d'Alliance, les Tables de la Loi où sont gravées les Dix Commandements et que Dieu auraient confiées à Moïse. Car on dit ici que le fils du roi Salomon a volé l'Arche à Israël pour l'amener à Axum, la Jérusalem d'Éthiopie.
Certaines de ces églises sont réputées pour leurs richesses. Constructions circulaires d'une trentaine de mètres de diamètre, elles impressionnent d'abord par leur grandeur. Elles illustrent la tradition architecturale autochtone par leurs formes arrondies, leurs matériaux et leurs techniques de construction.
Les églises sont composées de trois parties : le sanctuaire intérieur et les déambulatoires intérieurs et extérieurs. Sur l'enceinte extérieure se dévoilent les premières richesses : toute l'histoire de la Bible y est contée, du sol au plafond, par des peintures iconographiques de toute beauté.
Ces bandes dessinées géantes encerclent le cœur du sanctuaire. C'est un lieu secret, protégé par une lourde porte cadenassée. C'est là que se trouve le véritable trésor. Dans une perpétuelle pénombre sont entassées des reliques d'un autre temps : textes sacrés, parchemins précieux, objets royaux, un héritage unique de l'art ecclésiastique, jalousement conservé par les moines du sanctuaire et qui ne se laisse approcher que par quelques initiés privilégiés.
Mais de l'Arche d'Alliance, aucune trace. N'en déplaise à Indiana Jones.
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Pause café
Sur la route qui mène des chutes du Nil aux montagnes du Simien se trouve un village. Je ne me souviens plus de son nom. Je pourrais encore moins retrouver la maison. Le visage de la femme qui nous a accueillis s'est lui aussi effacé.
Par contre, je revois encore très bien sa silhouette légère se découpant dans le carré de lumière qui s'ouvrait sur la cour intérieure. Là, se trouvait un tapis écarlate de cerises de café qui séchaient au soleil. D'une main assurée, elle en a saisi une poignée puis nous a invité à l'intérieur. Nous nous sommes installés à même le sol, entre quatre murs couleur de ciel. Avec une infinie patience, ses doigts agiles ont extrait le noyau de chaque cerise. Peu à peu, les grains de café, un peu verts, se sont accumulés dans le fond d'une casserole bosselée. Agenouillée devant un petit réchaud à gaz, la magicienne les a lentement fait griller. Une puissante odeur de torréfaction a empli la pièce, et une demi-heure plus tard, nous trempions les lèvres dans le plus délicat et onctueux des breuvages.
Sans doute était-elle la descendante de Kaldi, ce berger qui, selon la légende abyssinienne, a donné le café aux hommes après avoir découvert l'effet tonifiant qu'il avait eu sur ses chèvres.
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Lettre de Rimbaud #1
Harar, 13 décembre 1880.
Chers amis,
Je suis arrivé dans ce pays après vingt jours de cheval à travers le désert Somali. Harar est une ville colonisée par les Égyptiens et dépendant de leur gouvernement. La garnison est de plusieurs milliers d'hommes.
Ici se trouve notre agence et nos magasins. Les produits marchands de la contrée sont le café, l'ivoire, les parfums, l'or, etc... Le pays est élevé, mais non infertile. Le climat est frais et non malsain. On importe ici toutes marchandises d'Europe par chameaux. Il y a, d'ailleurs, beaucoup à faire dans ces régions.
Nous n'avons pas de poste régulière ici. Nous sommes forcés d'envoyer notre courrier à Aden par de rares occasions. Ceci ne vous arrivera donc pas d'ici longtemps (...)
J'espère que vos affaires vont bien et que vous vous portez bien. Je trouverai un moyen de vous écrire encore prochainement.
Adressez vos lettres et envois ainsi :
"M. Dubar, agent général, à Aden, pour M. Rimbaud, à Harar."
R.
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Lettre de Rimbaud #2
Harar, 4 mai 1881.
Chers amis,
Vous êtes en été, et c'est l'hiver ici, c'est-à-dire qu'il fait assez chaud, mais il pleut souvent. Cela va durer quelques mois.
La récolte du café aura lieu dans six mois.
Pour moi, je compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l'inconnu. Il y a un grand lac à quelques journées, et c'est en pays d'ivoire : je vais tâcher d'y arriver. Mais le pays doit être hostile.
Je vais acheter un cheval et m'en aller. Dans le cas où cela tournerait mal, et que j'y reste, je vous préviens que j'ai une somme de 7 fois 150 roupies m'appartenant déposée à l'agence d'Aden et que vous réclamerez, si ça vous semble en valoir la peine (...)
Écrivez à MM. Wurster et Cie, éditeurs à Zürich, Suisse, et demandez de vous envoyer de suite le Manuel du Voyageur par M. Kaltbrünner, contre remboursement ou comme il lui plaira (...)
Expédiez à l'agence d'Aden.
Portez-vous bien. Adieu.
A. Rimbaud