CAMBODGE

Ta Phrom

Thierry Brunello - Tous droits réservés.
Ta Phrom - 2001

"C'était au Paradis" (roman) - Thierry Brunello

 

(Extrait)

 

"Le cobra s'enroula autour de la branche comme la branche s'enroulait autour de la pierre. Elle avait commencé par enlacer le pilier puis avait fini par traverser la voûte du temple. À ses extrémités s'ouvraient de larges feuilles sous lesquelles pendaient des fruits sucrés, verts et mauves, que se disputaient les singes.

À l'ombre des figuiers et des fromagers géants dormait le Ta Phrom. Ce n'était pas un sanctuaire comme Angkor Vat ou le Bayon, mais un temple bouddhiste, dédié à la mère d'un roi. La ruine se perdait dans la luxuriance tamisée de la jungle, et l'œil novice était incapable d'en distinguer les contours.

Après des années d'abandon, lorsque l'espace des cours et des jardins d'autrefois devint trop étroit, les racines commencèrent à repousser les soubassements du temple. Elles soulevèrent les fondations, crevèrent les pavés des galeries et des couloirs, puis coururent dans toutes les directions à la recherche de la lumière du jour. Elles s'accrochèrent aux bas-reliefs, dévorèrent les visages des dieux, s'agrippèrent aux frises délicates et lézardèrent les piliers ciselés. À mesure que la couverture végétale grandissait et plongeait les ruines dans l'obscurité, les plantes des strates inférieures cherchaient à leur tour la vitalité du soleil. Alors les racines devinrent des branches, et les branches des troncs. L'enchevêtrement colossal écarta les murs, les frontons se fissurèrent. Les armées de bas-reliefs furent disséminés par les mousses acides, les éléphants broyés par le santal. Les yeux des démons furent troués par des ficus tentaculaires et les yeux des asparas se mirent à vomir des fougères arborescentes. Le Ta Phrom n'était plus qu'un formidable piédestal pour les fromagers qui tiraient leur suc nourricier de ce foisonnement artistique.

Mais la pieuvre monstrueuse était tout autant protectrice que meurtrière ; les racines, qui s'étaient d'abord appuyées aux arcs-boutants, avaient patiemment rehaussé les voûtes en perdition, et les troncs séculaires qui avaient pulvérisé les piliers s'étaient aujourd'hui substitués à eux pour mieux soutenir le temple.

Depuis plus d'une heure, Gautier entraînait Hans dans ce dédale monumental, écartant les rideaux de lianes pour explorer les cours oubliées, enjambant les racines voraces pour mieux s'enfoncer dans la pénombre émeraude des galeries effondrées. On entendait craquer les plus hautes ramures, et seuls quelques oiseaux invisibles lançaient de timides mélodies (...) Sous la chevelure d'un fromager, ils découvrirent un ballet de sculptures érotiques. Les orchidées s'ouvraient dans des mains finement travaillées, de nouvelles pousses caressaient les courbes des hanches divines, le jasmin entravait les poitrines gonflées. La jungle avait fini par épouser le génie architectural des Khmers.

Le Ta Phrom était un monument organique. Il palpitait. Et ce qui avait d'abord paru à Hans comme un combat insensé entre le génie humain et la puissance végétale se révéla être une merveilleuse étreinte d'amour."

Thierry Brunello - Tous droits réservés.
Ta Phrom - 2001
Thierry Brunello - Tous droits réservés.
Ta Phrom - 2008
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Ta Phrom - 2008
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Ta Phrom - 2008

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Ta Phrom - 2008

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Ta Phrom - 2008

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Preah Khan (Temple voisin du Ta Phrom) - 2008

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Preah Khan (Temple voisin du Ta Phrom) - 2008

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Preah Khan (Temple voisin du Ta Phrom) - 2008

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Banteay Srei

"C'était au Paradis" (roman) - Thierry Brunello

 

(Extrait)

 

- Écoute, chuchota soudain Saloth. Tu entends ?
Seule une puissante stridence d'insectes emplissait mon crâne.
- Tu entends sa voix dans la forêt ? Il appelle !
Le jeune guide fit accélérer les mules.
Les frangipaniers s'écartèrent et le Banteay Srei apparut. Un mirage, une silhouette chatoyante dans un halo de lumière céleste.
- Alors ça ! laissa échapper Gautier.
C'était un joyau, encore partiellement debout, bâti de grès rose, entièrement sculpté dans cette pierre plus résistante que tous les autres matériaux d'Angkor. Il avait combattu les siècles avec acharnement.
Saloth avait dit vrai : le temple appelait. C'était une vibration à la fois douce et frénétique qui semblait s'échapper de tous les pores de son enveloppe de pierre. On pouvait distinctement la ressentir et la séparer désormais du souffle strident de la jungle.
Les mules escaladèrent un tas de blocs érodés, vestiges du gopura principal. Leurs sabots frôlèrent le visage d'Indra, divinité du ciel sur son éléphant à trois têtes, puis passèrent les douves asséchées, longues vasques de fougères éclatantes. 
Comparé aux autres temples-montagne, le Banteay Srei avait une taille dérisoire. La plus haute tour, le linga central, ne dépassait pas cinq mètres. Cette taille humaine en faisait une construction intime, candide. Le regard pouvait embrasser tous les détails des frontons et s'immiscer dans chaque repli des murs (...)
Au milieu de ses exclamations, Gautier s'efforça de me décrire ses découvertes. Je rencontrai avec lui Shiva et son épouse Umâ sur le taureau Nandin, le démon Virâdha s'emparant de Sitâ, Varuna chevauchant une oie sauvage, Kubera porté par des lotus, et le combat de Vâlin et Sugrîva, les frères singes. J'aperçus de nouveau Indra courir sur le grès rose, s'efforçant d'envoyer la pluie sur la forêt Khandava pour éteindre le feu allumé par le dieu Agni. Mais Balarama, lançant un rideau de flèches, empêchait la pluie de tomber. Sur les frontons ensoleillés se découpaient les ombres harmonieuses de dieux aux bras multiples, dansant la vie et la mort dans le cercle du monde, et Râvana à dix têtes secouant le Mont Kailash, Vishnu à tête de cheval et Durgâ piétinant les démons. Les épopées du Ramayana et du Mahabharata nous plongeaient comme deux enfants dans le plus beau livre de contes. Le Banteay Srei chantait en nous livrant ses flancs d'arabesques fleuries. Krishna tuait son oncle Kamsa qui l'avait poursuivi et tourmenté, Yama sur son buffle gardait la porte des Enfers, et Vishnu chevauchait Garuda. Et combien d'autres divinités aux noms impossibles que la pierre dure avait protégées de l'anéantissement ? Il y avait là un trésor inestimable qui dépassait l'entendement. Pour un archéologue, la découverte d'un tel joyau était l'aboutissement d'une carrière, la récompense de tous ses efforts, le cadeau d'une vie de patience et de labeur. À travers ses larmes, Gautier parlait aux figures qu'il croisait. Ses doigts tremblants caressaient les parois grouillantes de gardiens magnifiques et de serpents légendaires, couraient sur les frises fleuries à la rencontre des dieux par milliers. Il murmurait leurs noms, fébrile, car il les connaissait tous, innombrables comme les étoiles. Il vibrait d'un feu intérieur sans cesse ravivé par les nouvelles découvertes de cette moisson miraculeuse. Les émotions se succédaient, le submergeaient, toujours plus intenses devant ces corps saturés de beauté. Tout n'était qu'effusion de formes généreuses, de courbes magnifiées, de hanches grâcieuses et de poitrines débordantes. Et dans ce pullulement sensuel apparut Kâma, dieu de l'amour, tirant une flèche salvatrice vers Shiva et Umâ pour fortifier leur union. Les doigts de Gautier s'arrêtèrent sur le torse bombé du dieu puis remontèrent lentement vers son visage souriant."

 

 

 

Thierry Brunello - Tous droits réservés.

Banteay Srei (entièrement restauré par l'Ecole française d'Extrême Orient) - 2008

Thierry Brunello - Tous droits réservés.

Banteay Srei - 2008

Thierry Brunello - Tous droits réservés.

Banteay Srei - 2008

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Banteay Srei - 2008

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Banteay Srei - 2008

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Banteay Srei - 2008

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Banteay Srei - 2008

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Banteay Srei - 2008

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Banteay Srei - 2008

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